La pandémie actuelle est une situation de crise qui a chamboulé les plans des entreprises un peu partout dans le monde. Mais dans de nombreux pays les industries technologiques se sont organisées pour faire face à la situation, nous avons donc observé les évolutions de ces pratiques et enjeux particulièrement en Europe où de nombreux pays ont annoncé des confinements généralisés. Aujourd’hui nous parlerons du cas de l’industrie du jeu vidéo.
Un enjeu principal: Le cashflow
Comme le reste de l’industrie, la situation a posé des enjeux stratégiques et logistiques importants qui affectent les entreprises de plusieurs manières. Vous connaissez déjà les enjeux principaux les plus évidents, ce sont ceux de toutes les entreprises : le cashflow et la logistique opérationnelle qu’implique le travail à distance.
Mais l’industrie du jeu vidéo a réagi de manières très différente en fonction de la taille des studios, des types de jeux qu’ils créent et de leur calendrier de livrables. Pour les petits studios, opérationnaliser le travail à distance a été simple, en revanche le cashflow est souvent un problème bien plus pressant. Les grands studios sont généralement plus en contrôle de leurs finances mais organiser le travail à distance d’équipe de développement de plus 500 ou 600 personnes n’est pas une mince affaire.
Une des solutions aux inquiétudes face au cashflow s’est faite organiquement et n’avait pas forcément été prévue : en isolement, les gens jouent plus. The Hollywood Reporter a observé en Amérique du Nord une hausse de 75% sur les jeux en ligne aux heures de pointe et une consommation de vidéos en ligne 12% plus forte qu’à l’habitude selon les rapports Verizon.
Cependant certains jeux se sont adaptés massivement pour faire face à la situation. Niantic (les créateurs de PokemonGo et de nombreux autres jeux utilisant la géolocalisation) ont transformé le gameplay de leurs jeux afin de permettre aux joueurs de jouer à travers des déplacements réduits et en évitant les zones très peuplées.
Des mesures et réponses logistiques qui frôlent parfois la science-fiction
L’enjeu logistique a été plus compliqué à solutionner puisque les kits de développement et les serveurs ne sont généralement pas transportables et demandent des adaptations des protocoles TI afin de permettre le travail à distance. Selon Nadine Gelly, directrice de la Guilde du Jeu Vidéo, une des grandes inquiétudes des studios québécois serait que les techniciens TI ne puissent plus assurer la maintenance physique des systèmes dans le cas d’un confinement obligatoire.
Pour Julien Bouvrais, Directeur des Technologie d’Eidos–Montréal, la problématique était aussi que le travail est parfois très demandant pour les ressources informatiques, particulièrement dans la portion artistique, et les ordinateurs personnels des employés ne peuvent que rarement soutenir ces besoins. Heureusement le studio étudiait depuis quelques temps les options de télétravail et a pu déployer des solutions de streaming matériel très performantes. Selon David Anfossi, chef du studio Eidos Montréal, “Ça sonne un peu comme de la science-fiction, mais on est rendus au point où les plateformes deviennent agnostiques. Que ce soit un mobile ou un PC de la NASA les technologies nous permettent d’outrepasser les limites de l’ordinateur qu’on utilise.”
L’industrie est progressivement en train de s’adapter à la situation. Cela implique d’élargir et de renforcer les processus pour maintenir les secrets d’industrie aux familles de leurs employés à distance ou de s’habituer à ce qu’une réunion en ligne puisse être dérangée ou reportée pour gérer des aspects familiaux, particulièrement pour les employés qui ont des enfants en bas âge.
Des risques pour la santé des humains derrière la visioconférence
Ce qui nous amène à l’enjeu de ressources humaines qui inquiète de nombreuses industries actuellement : comment maintenir du lien entre les équipes à distance? Spécialement pour certains petits studios qui n’ont pas d’équipe ou de firme attitrées aux ressources humaines.
Un peu partout, la conclusion principale a été : à travers la communication. Marco Ponte, le CEO de Raceward, un studio italien de 35 personnes a instauré des visioconférences quotidiennes pour les équipes en plus de canaux de communications textuels. Une des nouvelles habitudes du studio est de mettre en place un message de « bon matin » afin de lancer la journée de travail. Selon lui « les chats aident, mais continuer de voir ses équipiers aide plus à l’heure actuelle » a-t-il confié à gamesindustry.biz.
Mais selon Luca Marchetti CEO de Studio Evil en Italie « Il faut aussi se préparer à la détresse émotionnelle que la situation pourrait causer. Il ne faut pas seulement ajuster les flux de production au simple fait de travailler dans des endroits différents, parce que les événements impliquent une gamme de facteurs beaucoup plus grande. Maintenir des relations interpersonnelles saines au sein d’une équipe est plus important que jamais. »
Selon Nadine Gelly de la Guilde du Jeu Vidéo, l’industrie du jeu vidéo présente de nombreux profils introvertis qui, pour l’instant, se plaisent souvent dans le fait de ne pas avoir besoin de sortir de chez eux. Mais ces mêmes profils pourraient être enclins à ne pas partager l’évolution de leur état émotionnel avec leurs collègues ou leurs coordonnateurs. Et la santé mentale des employés va devenir un enjeu critique si la crise, et particulièrement le confinement, se poursuivent.
Des solutions pour faire face à l’isolement et recréer une vie sociale à distance
Eidos Montréal, habitué à nourrir une vie de studio a rapidement lancé un sondage au sein du studio pour demander à ses employés comment ils allaient et identifier les cas extrêmes de personnes isolées vivant mal la situation et de personnes en famille ayant du mal à concilier la relation travail-famille depuis la maison. Leur objectif était de pouvoir ensuite parler plus en détail avec ces employés pour trouver des solutions et adapter leurs environnements à ces situations.
Eidos–Montréal a, en parallèle, recréé certains aspects de leur environnement en ligne. La “bière du vendredi s’échange sur des plateformes de vidéo conférence (avec 411 personnes en ligne le 27 mars). Des ateliers d’étirements sont offerts deux fois par jour en ligne et les ateliers de méditation qui étaient offerts dans le studio sont maintenant des sessions en streaming. Le studio les a d’ailleurs accompagnées de cours quotidien de yoga, pilates et sport HIIT. Les conversations anodines entre employés sont soutenues par des structures avec, par exemple, un canal pour s’échanger des photos de ses animaux de compagnie.
En instaurant des communications moins pertinentes aux affaires, plus légères, les studios se donnent donc les moyens de permettre à leurs employés d’être plus que les mains qui produisent les jeux et de devenir une communauté de confiance qui pourra se soutenir.
De son côté, la Guide des Jeux Vidéo soutient les studios québécois indépendant en jumelant les studios qui ne sont pas équipés pour gérer les problématiques de ressources humaines avec des entreprises spécialisées et en créant des canaux de conversation pour les propriétaires de studios.
Une représentation impossible à assurer en raison des annulations d’événements
Enfin un grand nombre de petits studios a été frappé par les annulations d’événements. Pour des entreprises et des studios en croissance ou en démarrage, les événements d’envergure comme GDC sont un moyen efficace de trouver une base de clientèle, du feedback ou du financement. Mais dans le contexte actuel cela n’est pas possible.
Pour l’instant aucune réponse claire n’a été trouvée puisque pour les petits studios c’est souvent le simple fait de pouvoir avoir un espace dans ces événements qui leur donnent cet accès. Et plusieurs studios indépendants craignent que les événements en ligne qui seront mis en place ne leur donne pas accès à une visibilité qui provient des visiteurs qui flânent dans les salons entre deux conférences.
Quoi qu’il en soit cette crise aura vraisemblablement un impact majeur sur l’industrie du jeu vidéo et sur de nombreuses autres industries. Début Mars à la Morgan Stanley Technology, Media, and Telecom Conference, Strauss Zelnick, le CEO de Take-Two Interactive, disait « Il va falloir trouver un moyen d’être productif depuis la maison. […] Une conséquence inattendue sera que nombre d’entre nous qui sommes sceptiques par rapport au télétravail le seront beaucoup moins. J’en suis un d’ailleurs. Je ne crois pas vraiment au travail à distance. Mais je pense que je vais être surpris. Je pense que nous allons voir un changement significatif et probablement à long terme. »
S’inspirer de l’industrie du gaming pour trouver des solutions alternatives à vos enjeux !
Si étudier l’industrie directement nous offre de nombreuses pistes de solutions, on peut aussi en imaginer en regardant d’autres aspects de la communauté du gaming.
En effet, les joueurs sont depuis longtemps habitués à s’organiser en ligne pour jouer ensemble et se préparer. Et si ce n’est peut-être pas une évidence au premier abord, les compétences communes sont nombreuses entre l’organisation de 40 joueurs pour explorer un donjon et combattre des monstres et la coordination de ses employés pour la bonne tenue d’un projet.
Dans les MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Games) il n’est pas rare de voir les chefs de groupe prendre 5 minutes pour répartir clairement les rôles et responsabilités des membres et expliquer les stratégies qui doivent être menées à court terme, un peu comme un coach face à une équipe de sport. La distance n’est pas un problème, on parle même de gens qui ne connaissent pas nécessairement dans le cas des joueurs. Et pourtant, la technique est très efficace.
Si vous n’avez pas encore opté pour une plateforme collaborative pour le travail à distance. Pensez à regarder du côté du jeu vidéo aussi car certaines plateformes, comme Discord, Teamspeak ou Mumble se spécialisent dans les communications entre joueurs. N’hésitez pas non plus à aller voir notre mur des innovations technologiques pour trouver des solutions québécoises.
Une solution pour beaucoup pourrait aussi se trouver dans la réduction de la durée de la crise. Le projet Folding@Home propose un logiciel qui utilise des performances informatiques non utilisées pour soutenir le travail des scientifiques. Un appel massif a été lancé aux joueurs et aux acteurs des technologies pour installer le logiciel et donner une partie de ses performances informatiques pour la modélisation et la simulation de traitements pour le COVID-19.
Pour finir, comment ne pas parler de ludification! De nombreuses industries réalisent depuis longtemps qu’emprunter des logiques de jeu à certains aspects de leurs outils ou services favorise l’implication des utilisateurs. Ces logiques sont aussi applicables à la gestion de projet afin de renforcer la motivation des équipes, même à distance. Ce sujet mérite largement un long article (et l’article que vous lisez l’est déjà bien assez) aussi nous vous recommandons deux lectures pour commencer: l’excellent article d’Infopresse sur la gamification pour engager (en français) et l’article très complet du Project Management Institute (en anglais).
Pour conclure, les mots de David Anfossi, chef de studio Eidos Montréal, paraissent très adaptés : “L’important, c’est de rester curieux et de regarder ce qui se fait dans les autres industries et de s’en inspirer.”